La peinture d'Elric Miault

par Lucien Malson, écrivain et philosophe

 

     J’ai toujours aimé la philosophie, comme la musique, et toujours aimé la peinture. Il m’est arrivé d’écrire attentivement et fervemment sur les grands épisodes que furent l’impressionnisme, le cubisme, le surréalisme, moins sur ce qu’on a appelé l’abstraction, dont j’apprécie cependant certains gestes. C’est le cas par exemple pour l’œuvre de Mondrian dont la pratique géométrale offre des formes strictes et répétitives distribuées avec une grande rigueur et un choix de couleurs qui aboutit à une infaillible harmonie. Je pense à d’autres peintres qui procèdent, à Paris, avec semblable mesure. Par exemple à Maïce le Baron dans la construction appliquée de rectangles virides, ou à Dominique Guyot chez qui la géométrisation des formes laisse parfois surgir, à son terme, une esquisse figurative perceptible par soupçon. Dans les deux cas notre estime est captée.

     Il est loisible de considérer d’autres styles qui se détachent de ceux que nous venons d’évoquer et qui satisfont notre goût. Parmi les artistes dont le souci n’est pas davantage de récupérer et transcender les êtres ou objets du monde visible, nous comptons ceux qui font s’épanouir sur la toile un décor explosif et lui donne de la gloire. J’avais rencontré cette manière picturale au Musée de la Légion d’honneur et des Ordres de Chevalerie dans un tableau signé Elric Miault. J’ignorais alors que d’autres œuvres de lui avaient été également acquises par le Musée du Vatican (Vatican), le Musée de Marrakech (Maroc), le Musée d’art moderne de Cali (Colombie), les fondations Ademus (Québec), Adolphe de Rothschild, Rotary Club, Arthérapie (Paris), Cipia (Inde), Omar Benjelloun (Maroc).

     Au mois d’octobre 2010, exposées à l’Espace Cardin, j’ai reconnu quatre peintures d'Elric Miault qui était présent, parmi ses confrères. Nous avons conversé. Beaucoup de choses m’ont été apprises. D’abord qu’il fut un grand voyageur. Je savais déjà que le peintre irait loin.

     Les voyages commencent de bonne heure. Né à Fontenay-le-Comte, Elric, encore enfant, vit quelques années en Amérique du Sud, puis, durant son adolescence en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti. Il revient en France dans le Sud-Ouest, connaît le Limousin et Bordeaux après un séjour à Nantes. A dix-huit ans, orienté par son père vers cette armée dont il est haut dignitaire, il se trouve engagé, au cap de Souges, dans le 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes. Lors d’un saut collectif mal encadré, il perd l’usage de ses deux jambes. Après une longue convalescence et une chanceuse guérison, il retrouve, définitivement, le domaine civil. Un oncle le reçoit à New York. Il tient un restaurant à Manhattan. Le neveu apprend l’art culinaire et se remet à dessiner, exercice pratiqué avec adresse dans son jeune temps. Au café du coin, il montre ses croquis à quelques amis et ceux-ci, à sa surprise, lui offrent, un matin, des toiles, des pinceaux, des couteaux, de l’huile et autres éléments accompagnateurs. Il se lance, lors de son premier tableau, dans ce qu’il nommera, par la suite, un abstracto-lyrisme. Gary Lasdun, scénariste du New York Theatre, tient à l’acheter, demande le prix, ne reçoit pas de réponse et déclare de lui-même, en sortant son chéquier : quatre mille dollars, somme imprévisible par Elric Miault qui décide, évidemment, de prolonger l’aventure.

     Quelques temps plus tard, en 1996, incité par Lasdun, le débutant accroche plusieurs tableaux lors d’une Business Party à Rhodes Island. La meilleure vente s’élève non loin du triple de celle qui avait étonné le dessinateur du petit café français. La deuxième manifestation se tient, toujours à New York, à la célèbre Revel Gallery. La carrière s'ouvre et la réputation croît. Notamment, en 1997, à l’Espace Levesque (Québec), à la Galerie Ménard (Montréal) et, en 1998, à la Galerie des Arcades (Genève). Au-delà de cette époque, le peintre va exposer dans nombre de parties du monde. On peut les connaître, une à une, dans sa biographie qui est jointe à chaque manifestation de cet ordre.

     La technique de cette peinture abstracto-lyrique implique l’utilisation de gros pinceaux chinois et de chalumeaux propulseurs de feu qui étendent les teintes fondamentales, liant les éléments et libérant les éventuels symboles et effigies. En de grandes plages soumises à l’efficace de l’encre, de l’huile et de la laque aux actions conjuguées, se projettent des couleurs pigmentaires de pierres broyées : la colombite (noire), la malachite (verte), le lapis-lazuli (bleu), le cinabre (rouge) et de métaux précieux : or, argent, bronze, cuivre, savamment transformés. Les dominantes colorées varient selon l’éclairage, passent, lentement, par exemple, d’un violet impérieux à un jaune triomphant.

     L’observateur assiste à quelque moment du jour, à ces déplacements de pouvoir sur la toile, entre grège et turquoise, lavande et vermeil, corail et céladon. D’autre part, à la lumière, l’or se ravive et la laque s’attiédit. La thématique de l’œuvre s’incarne en sujets de composition qui relève des options passionnées de l’auteur pour la cosmologie et les traditions spéculatives : mythologiques, théologiques, philosophiques qui flottent dans notre atmosphère culturelle. Il faut, à ce propos, nommer quelques tableaux. Saturne, dont on perçoit, à gauche, le nuage safran et rose-orangé d’où se détache un Titan, satellite céruléen. Mars-Neptune, qui oppose le nacarat à l’indigo. Pas moins de seize toiles sont dédiées à Gaïa, la terre, d’abord naissante puis, succédant à l’incandescence, s’ouvrant au minéral, au végétal et au stade animal où elle va penser par notre intermédiaire. On découvrira des traces illusionnantes où nous projetons une part de l’essentiel, comme en présence d’une planche de Rorschach : un renard, un homme, mais aussi des graphies soigneusement dessinées qui ont valeur symbolique et renvoient aux images de l’Orient et du Moyen-Orient, aux légendes de Rome et de la Grèce antique, comme celle de l’île engloutie, Atlantide, contée par Criton dans le dernier dialogue platonicien. Nous allons, même, aux fantaisies des théosophes et, incluses fortement dans l’imaginaire occidental, aux très hautes figures bibliques de Gabriel ou Raphaël, l’annonciateur et le soldat divin.

     Artiste éclatant, Elric Miault, à notre sens, surplombe tous ces apports culturels et les fige sur des toiles qui resplendissent et continuent de vivre au milieu des plus grandes collections.

Lucien Malson